Elle aurait voulu être prof de philosophie mais ayant raté Normale Sup, Catherine Barba passera finalement trois années sur les bancs de l’ESCP Business School avant de se lancer direct dans l’entrepreneuriat. Depuis, elle a la passion de la création d’entreprise chevillée au corps. A son actif, quatre créations d’entreprise ! D’abord en avance de phase sur les sujets digitaux, cette spécialiste de la transformation numérique et de l’acquisition clients a décidé, fin 2022, de dédier son nouveau projet à la formation des indépendants.Avec son école Envi, co-fondée avec deux associées, elle se met au défi d’enseigner à des solopreneurs comment bien vendre et surtout bien se vendre auprès de leurs clients. Mi-février, nous l’avons rencontrée dans son home office parisien pour une discussion à bâtons rompus sur les enjeux du travail indépendant et les pistes à explorer pour réussir !
À lire aussi :
Reconversion : salariés et indépendants, par où commencer pour réussir votre projet ?
Entre les indépendants et les slasheurs, ces salariés qui développent leur activité en parallèle, on compte aujourd’hui près de 10 millions d’entrepreneurs en France. Un chiffre record ! Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Catherine Barba : le travail change profondément. Aujourd’hui on peut rêver de créer sa boîte et se mettre à son compte, de façon transitoire ou pour plusieurs années, et un jour peut-être retourner en entreprise. On peut avoir un job salarié et en parallèle développer sa propre activité. Travailler ne se réduit plus à un seul emploi, à une seule entreprise, un seul statut. Peut-être parce que quand tout est chaos et incertitude à l’extérieur, nous sommes aussi traversés de contradictions à l’intérieur.Nous voulons être libres, mais aussi être protégés ; nous avons envie de faire partie d’une aventure plus grande que nous, appartenir à un collectif qui ancre, protège, forme, et en même temps, être maître de notre travail et récolter le fruit de nos actions. Nous avons autant besoin de sécurité que nous rêvons de plus d’autonomie, d’équilibre et de sens. Ce n’est plus tant le statut qui nous définit que nos compétences. Nous pouvons aujourd’hui emprunter mille chemins pour nous réaliser. Et peut-être demain, il y a aura-t-il un statut hybride.
Qu’entendez-vous par statut hydride ?Je pense à un compromis qui reste à inventer entre le statut de salarié et d’indépendant. De plus en plus d’employeurs permettent à leurs collaborateurs d’avoir une activité non salariée en parallèle de leur emploi salarié. C’était impensable il y a une dizaine d’années.
À lire aussi :
Création d’entreprise : on a classé toutes les aides à cumuler pour se lancer
Quel est le profil des indépendants ?Il s’agit d’une population très hétéroclite. Derrière le mot d’indépendant, on trouve une belle mosaïque de métiers. Des consultants, des coachs, des conseillers, des freelances, des formateurs, des journalistes, des data analysts, des auxiliaires de vie…Toute cette richesse de profils se retrouve dans la communauté Envi, aux côtés d’artisans, de commerçants, de professions libérales. Je les fréquente avec bonheur au quotidien, et suis frappée de voir ce qui les lie profondément au-delà de leurs différences. Tous ont le même besoin vital d’appartenir à un collectif d’entraide et tous ont le même impératif de savoir vendre et se vendre pour générer leurs revenus à la fin du mois.
Est-ce toujours un choix délibéré de leur part de devenir indépendants ? Ou au contraire, une situation subie ?On retrouve les deux cas de figure. A la fois des indépendants qui optent pour ce type d’activité car ils sont contraints de quitter leur emploi. Peinant à retrouver un job, ils se mettent à leur compte pour une période de transition ou de manière plus pérenne. Pour d’autres, le solopreneuriat est délibérément choisi pour redonner du sens à leur travail. Ce qui est d’ailleurs un leurre, le sens au travail ne se trouve exclusivement dans la team entrepreneurs. Cette option intervient majoritairement souvent en seconde partie de carrière.
À lire aussi :
Salaire : découvrez les revenus des travailleurs indépendants, selon leur secteur d’activité
Les indépendants gagnent-ils correctement leur vie ?Ceux qui gagnent très confortablement leur vie ont une expertise recherchée et une solide discipline commerciale. Mais pour la majorité des solopreneurs, ce n’est pas flamboyant. Une étude de l’association Bouge ta Boîte rend compte de chiffres préoccupants : 48% des dirigeantes d’entreprises ne se rémunèrent pas du tout. 77% des entrepreneures de moins de trois ans gagnent moins de 1 500 euros par mois. C’est pour remédier à cette précarité que l’on a créé Envi. Pour leur apporter les deux clés qui permettent de faire rimer liberté et rentabilité : une formation d’excellence pour apprendre à vendre et se vendre, et un réseau d’entraide pour trouver des clients.
Pourquoi est-ce si compliqué de se dégager des revenus corrects ?Il y a plusieurs facteurs qui font qu’une activité ne marche pas. Cela peut tenir à une offre qui n’est pas assez percutante, pas assez distinctive. On vend ce que tout le monde vend. Ou à la façon qu’on a de la présenter. On peut également se tromper de cible – elle n’a pas d’argent ! – ou répondre à un besoin qui n’est pas prioritaire, et dans ce cas on s’essouffle à essayer de vendre. La plupart du temps, c’est parce qu’on néglige le commercial. Si on ne passe pas assez de temps en prospection, c’est mathématique : on ne vend pas assez. Là-dessus, la solitude n’aide pas : si personne au quotidien n’est là pour vous dire «attention, le prix de ta prestation n’est pas assez élevé» ou «on ne comprend pas ce que tu fais d’unique», il est difficile de s’en sortir.
À lire aussi :
Entrepreneuriat : pourquoi les Françaises sont-elles si peu nombreuses à se lancer ?
Selon vous, quel serait le bon ratio entre prospection et opérationnel ?
Je suis convaincue qu’il faut consacrer 50% de son temps à prospecter, notamment au début de son activité afin d’amorcer la pompe. Ce qui peut semblait contre-intuitif car souvent au démarrage, on joue de son réseau et les clients arrivent parfois facilement. Aujourd’hui les prospects répondent de moins en moins aux messages, il faut passer du temps à relancer encore et encore, avec détermination mais toujours avec élégance.Dès lors que l’on prend conscience que pour décrocher un client il faut faire 10 propositions, et que pour établir ces 10 propositions, il faut avoir tenté de contacter 100 personnes de sa cible, on commence à mettre le poids du corps au bon endroit. A savoir sur la vente. Or, en France, on n’apprend pas à vendre, y compris dans les écoles de commerce. Il y a même un certain mépris envers les vendeurs. Or, la vente est le nerf de la guerre. On aime se dire qu’on crée son activité parce qu’on a soif de sens, mais la passion ne nourrit pas. Réussir à son compte, c’est passer de la poésie aux mathématiques.
À lire aussi :
Pourquoi vous avez intérêt à vous former à l’IA (et vite)
Emmanuel Macron vient d’annoncer 109 milliards d’euros en faveur de l’intelligence artificielle. Comment les indépendants peuvent-ils justement se servir de l’IA pour booster leur activité ?L’intelligence artificielle est en effet un outil fantastique pour vendre plus. L’IA peut par exemple aider à faire de la veille. On gagne un temps considérable en demandant à une intelligence artificielle générative (ndlr : IAG) de réaliser une revue de presse hebdomadaire sur un sujet, un secteur ou une entreprise que l’on souhaite adresser, et de nous envoyer par email chaque matin le résultat de sa recherche. Une IAG peut également aider à rédiger des messages de prospection percutants. Évidemment, travailler avec l’intelligence artificielle ne s’improvise pas. Il faut s’approprier ces outils en se formant sérieusement, chaque jour, avec une implacable régularité, pour apprendre à prompter.Que pensez-vous du rétropédalage sur gouvernement sur l’abaissement du seuil de déclenchement de TVA pour les micro-entrepreneurs ?
Cette décision avait été prise sans concertation, et donc avec une méconnaissance certaine de la réalité du quotidien des indépendants. Si cette mesure avait été maintenue, elle aurait durement impacté à court terme les revenus des solopreneurs. Ce qui se serait traduit soit par la nécessité d’augmenter ses prix au risque de perdre des clients, soit par une marge dégradée, soit par une propension accrue à travailler au black. La marche arrière du gouvernement est une bonne chose.A propos de gouvernement, avez-vous déjà été approché pour prendre en main un Ministère ? Par exemple celui en charge des TPE ?La politique est trop éloignée de moi, de ma façon de travailler. Je suis profondément entrepreneure, je me réalise dans l’action, avec une obligation de résultat.Pas de velléités de devenir Ministre donc. Mais si vous deviez souffler des mesures en faveur des entrepreneurs à l’oreille du gouvernement, quelles seraient-elles ?Je murmure davantage à l’oreille des entrepreneurs que des politiques vous savez ! La déconnexion avec le réel est souvent à l’origine de mesures inadaptées. Peut-être les législateurs devraient-ils faire des «vis ma vie d’entrepreneur», investir dans des entreprises, ou mieux encore venir suivre des programmes chez Envi !
À lire aussi :
Fleur Pellerin : «Ce qui m’a le plus marquée à mes débuts, c’est la solitude de l’entrepreneur»
Vous avez récemment rédigé un post sur LinkedIn précisant que vous vous fixiez un échec par jour. Pouvez-vous nous en dire plus ?Oui, il faut essayer trouver la parade pour voir du positif dans les innombrables refus que l’on encaisse quand on prospecte ! Pour réduire mon temps de récupération et vite remonter en selle, je me donne pour objectif un échec par jour. Un refus est un bon signe : il signifie que vous essayez beaucoup, qu’au quotidien vous prospectez, envoyez des brassées de messages pour trouver des clients, avec discipline et opiniâtreté. Un refus, un silence. On vous dit non, on vous ignore ? Bingo, vous marquez un point ! Un point de combativité, de prospection active. Chaque non, chaque refus vous rapproche d’un oui. Banaliser l’échec permet de rebondir.Vous arrivez en fin de mandat d’administratrice indépendante au sein du conseil d’administration de Renault. Entre ce groupe et votre écosystème composé de TPE, c’est un peu deux salles, deux ambiances. Quel enseignement tirez-vous de cette expérience ?
Mon expérience au conseil d’administration du Groupe Renault m’a fait réaliser qu’avoir à son board une entrepreneure ou un entrepreneur avec un champ de compétences loin du cœur de métier d’une entreprise était un atout pour appréhender la complexité. Car la capacité d’un groupe à trouver rapidement des solutions dépend de son aptitude à croiser autour de la table des profils divers, des talents, expériences, compétences, points de vue différents, parfois iconoclastes. Ce sont les frottements et les divergences qui produisent de l’innovation.Cette expérience m’a aussi appris que dès que l’on développe des liens informels pour mieux se connaître, chacun prend confiance dans l’aventure collective. Se confronter à l’altérité est l’occasion de faire l’expérience de vraies rencontres et se dérocher de ses certitudes. En huit ans, j’ai vu notre instance de gouvernance devenir à la fois plus humaine et efficace car plus authentique. «Simul et singulis», ensemble et soi-même – c’est la devise de la Comédie Française.
Bio express
Depuis septembre 2022Co-fondatrice et Présidente d’Envi, l’école de vente des indépendants2020-2021Présidente de La French Tech New York2014 – 2021Présidente de CB Group USA2004-2013Fondatrice et PDG de Cashstore / Malinea2000-2003General Manager de iFrance1996-1999Directrice chez OMD Interactive1993-1996ESCP Business School
EURL, SARL, SCI, auto-entreprise… Entrepreneurs, notre service pour créer rapidement et simplement votre société
Recevez nos dernières news
Emploi, management, droits, chaque semaine l’actualité de votre carrière.